Qui regarde
Certains espaces de la ville semblent ne pas poser question, non pas qu’ils en seraient indemnes,
mais plutôt parce que personne ne semble les avoir formulées. Et ce n’est pas parce qu’il n’y pas
de questions qu’il n’y a pas de réponses. Comment les faire advenir ?
Une phrase débute par une majuscule et se termine par un point. La présente prend pour objet
un fragment de Nantes, s’ouvre à l’ouest et se clôt à l’est, on y navigue à contre-courant de la Loire.
Qui la lit produit en lui-même une image des lieux, fruit de la juxtaposition ordonnée de ce qui
paraît à l’image. À chaque lecture, un fragment de ville naît, c’est la force de l’imaginaire.
Ce qui a pour nom Île de Nantes est une fiction, une marque que laisse sur son passage la main
de l’aménageur, pourvoyeur de récits distribués pour combler les attentes, les lieux et les
appétits. Et en matière de comblement, cette ville sait faire. Qui sait où est passée l’île Beaulieu ?
D’une pointe à l’autre, un écho persiste. L’ouest, dans un moment d’avant, en attente de ce qui vient,
met au jour les traces à peine effacés de qui fut, là. Un état éphémère, du nom même de ces bestioles
accrochées aux lumières de la ville ; mais un éphémère persistant. À l’est, d’aspect beaucoup plus finit,
on s’emploie à faire place, chaque mètre carré est investi par un dessin et une exécution pleine maîtrise.
Le bâti se donne en objet, comme posé sur le socle de la chaussée, on en fait le tour. Le tout formant
collection, avec ses pièces majeures, celles que l’on ne voit pas encore de la sorte, mais aussi celles qui
manquent, et qui peuplent les archives.
Quelle force produirait l’inversion des pôles ? L’est en ouest et inversement ? À quel endroit exécuter le pli ?
Où situer le point de bascule ? Et si ce n’est pas un point, peut-être est-ce un plan : l’est au miroir de l’ouest,
plein de ruines en promesse.
Le sens de lecture est posé, d’emblée. Une ligne de temps se déploie, et dresse un état des lieux au
présent de celui qui se donne pour projet de faire paraître à l’image un agencement des formes aménagées.
Pour produire la ligne, il est nécessaire de ménager un parcours. Entre chaque point, tracer un trait,
la ligne apparaît. Chaque image désigne un point, une station d’exercice du regard, d’où regarder et
vers quoi. Ce qu’il est commun de nommer paysage serait-il autre chose qu’une possible réponse à
cet exercice ?
Le point d’où s’organise la vue est une construction, objet négocié avec les découpes qu’autorisent les
espaces de circulation, et avec l’épaisseur des strates constitutives de la ville. Ce qu’il est donné à voir,
morceau par morceau, point par point, constitue le recueil d’actions de présence au lieu. Attester d’un être-là,
une fois pour toutes. Avec cette particularité propre au médium d’en saisir l’éclat, aussi fugitif soit-il. La
quantité et la qualité de lumière nécessaires à l’animation du décor sont des paramètres aux mains de qui opère, c’est ainsi qu’il ou elle manipule, que son geste s’effectue, qu’il ou elle se constitue en sujet. L’opération photographie est, présentement, le produit d’un rapport au lieu ancré dans le temps de sa saisie. L’image tangible est une occurrence de ce rapport, son inscription stable. L’agencement de ces occurrences en un itinéraire procède d’un énoncé dont l’articulation appelle la succession des regards: qui a vu, qui voit, qui verra. La temporalité comme condition du voir. Dans la Loire s’écoulent les jours, au rythme des marées. La fluidité des eaux n’admet que le sédiment, du lent dépôt des matières remontent quelques émanations. L’exposition à ces vapeurs permettrait de faire paraître, à l’image, la question qui–nous–regarde.
Guillaume Ertaud – 2019
Certains espaces de la ville semblent ne pas poser question, non pas qu’ils en seraient indemnes,
mais plutôt parce que personne ne semble les avoir formulées. Et ce n’est pas parce qu’il n’y pas
de questions qu’il n’y a pas de réponses. Comment les faire advenir ?
Une phrase débute par une majuscule et se termine par un point. La présente prend pour objet
un fragment de Nantes, s’ouvre à l’ouest et se clôt à l’est, on y navigue à contre-courant de la Loire.
Qui la lit produit en lui-même une image des lieux, fruit de la juxtaposition ordonnée de ce qui
paraît à l’image. À chaque lecture, un fragment de ville naît, c’est la force de l’imaginaire.
Ce qui a pour nom Île de Nantes est une fiction, une marque que laisse sur son passage la main
de l’aménageur, pourvoyeur de récits distribués pour combler les attentes, les lieux et les
appétits. Et en matière de comblement, cette ville sait faire. Qui sait où est passée l’île Beaulieu ?
D’une pointe à l’autre, un écho persiste. L’ouest, dans un moment d’avant, en attente de ce qui vient,
met au jour les traces à peine effacés de qui fut, là. Un état éphémère, du nom même de ces bestioles
accrochées aux lumières de la ville ; mais un éphémère persistant. À l’est, d’aspect beaucoup plus finit,
on s’emploie à faire place, chaque mètre carré est investi par un dessin et une exécution pleine maîtrise.
Le bâti se donne en objet, comme posé sur le socle de la chaussée, on en fait le tour. Le tout formant
collection, avec ses pièces majeures, celles que l’on ne voit pas encore de la sorte, mais aussi celles qui
manquent, et qui peuplent les archives.
Quelle force produirait l’inversion des pôles ? L’est en ouest et inversement ? À quel endroit exécuter le pli ?
Où situer le point de bascule ? Et si ce n’est pas un point, peut-être est-ce un plan : l’est au miroir de l’ouest,
plein de ruines en promesse.
Le sens de lecture est posé, d’emblée. Une ligne de temps se déploie, et dresse un état des lieux au
présent de celui qui se donne pour projet de faire paraître à l’image un agencement des formes aménagées.
Pour produire la ligne, il est nécessaire de ménager un parcours. Entre chaque point, tracer un trait,
la ligne apparaît. Chaque image désigne un point, une station d’exercice du regard, d’où regarder et
vers quoi. Ce qu’il est commun de nommer paysage serait-il autre chose qu’une possible réponse à
cet exercice ?
Le point d’où s’organise la vue est une construction, objet négocié avec les découpes qu’autorisent les
espaces de circulation, et avec l’épaisseur des strates constitutives de la ville. Ce qu’il est donné à voir,
morceau par morceau, point par point, constitue le recueil d’actions de présence au lieu. Attester d’un être-là,
une fois pour toutes. Avec cette particularité propre au médium d’en saisir l’éclat, aussi fugitif soit-il. La
quantité et la qualité de lumière nécessaires à l’animation du décor sont des paramètres aux mains de qui opère, c’est ainsi qu’il ou elle manipule, que son geste s’effectue, qu’il ou elle se constitue en sujet. L’opération photographie est, présentement, le produit d’un rapport au lieu ancré dans le temps de sa saisie. L’image tangible est une occurrence de ce rapport, son inscription stable. L’agencement de ces occurrences en un itinéraire procède d’un énoncé dont l’articulation appelle la succession des regards: qui a vu, qui voit, qui verra. La temporalité comme condition du voir. Dans la Loire s’écoulent les jours, au rythme des marées. La fluidité des eaux n’admet que le sédiment, du lent dépôt des matières remontent quelques émanations. L’exposition à ces vapeurs permettrait de faire paraître, à l’image, la question qui–nous–regarde.
Guillaume Ertaud – 2019